L'annonce d'une mauvaise nouvelle |
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L'annonce d'une mauvaise nouvelle dans le sens d'« une information qui modifie radicalement et négativement l'idée que le patient se fait de son avenir » (Robert Buckman) ouvre - me semble-t-il - deux pistes de réflexion : la question de la vérité et la question de la communication. Mais auparavant revenons sur le verbe : annoncer. Il porte en lui une connotation active : faire savoir, porter à la connaissance. La vérité : la dire ? la taire ? l'esquiver ? Et entre ces deux extrêmes il y a la question de la « juste mesure » et cette mesure est celle de la personne malade. La mesure juste. Pour lui. Cette mesure qui convient est liée à son histoire, à sa vie sociale, son âge et ses responsabilités sociales et familiales, à ses mécanismes d'aménagement psychiques, à ce qu'elle devine de son état, à la suspicion, les doutes qu'elle ressent par rapport à sa santé et qui l'ont peut-être incitée à consulter. « Que dire au malade ? ai-je demandé au Dr Marie-Sylvie Richard (USP Jeanne Garnier) et sa réponse fût :« Demandez-le lui… ». Dans le cas d'une annonce de maladie grave, de rechute et pour se protéger de l'angoisse de mort, une personne peut utiliser des mécanismes de défense qui (dans un autre contexte) pourraient être considérés comme pathologiques, mais ici ils peuvent être entendus comme une « escorte indispensable » (Martine Ruszniewski) Le soignant va développer des mécanismes de défense plutôt en lien avec sa relation au patient, tandis que celui-ci doit faire face à tant d'angoisses d'origine différente qu'il est obligé de se mobiliser sur tous les fronts : personnel, social, familial... et ce sera majoritairement sous forme de dénégation ou de position de maîtrise qu'il réagira. Ses mécanismes vont être fluctuants et parfois très déconcertants pour l'entourage. Parfois ces mécanismes mis en place sont la seule manière pour la personne d'échapper à la dépression : il serait dangereux pour l'équilibre du malade de lutter contre eux et de vouloir les supprimer. La personne malade a souvent besoin de dire combien ce qu'elle entend la touche, la bouleverse dans son intégrité. Mais qu'elle parle ou non, elle a besoin face à elle de personnes qui la contienne et ne prennent pas la fuite. La communication vue sous cet angle change singulièrement les données du problème et la question qui se pose serait donc plutôt : « comment dire cette mauvaise nouvelle ? » Lorsque je reçois des personnes malades, des entourages de personnes malades, il y a toujours un retour à ce moment d'annonce. Les mots de l'annonce mais plus encore les conditions de l'annonce nécessitent une remise en mots. Les regards, les gestes, la chaleur ou l'indifférence de l'interlocuteur, le temps accordé et la qualité de la présence semblent gravés en eux et donnent du sens à ce qu'ils traversent. « La minute éternelle » dont parle une patiente dit bien le temps suspendu pour la personne… Et ce temps suspendu ne peut être accompagné que si l'interlocuteur se soumet à ce rythme, se cale à cette temporalité qui lui est étrangère : celle d'une personne confrontée à une menace qui bouleverse radicalement sa vie, ses convictions, ses projets d'avenir, qui lui fait perdre son insouciance et la plonge dans l'insécurité radicale. Dans toute communication, il me semble que ce qui rend difficile la rencontre est le fait d'être dans des temporalités différentes et de souhaiter de chaque côté que l'interlocuteur vienne rejoindre notre temporalité. Or le temps de la personne qui apprend une mauvaise nouvelle, le temps du médecin (le temps de la famille, celui des amis) sont radicalement différents. Nous pouvons avoir pris le temps de donner une information, mais la personne en face peut ne pas avoir eu le temps de l'intégrer, peutêtre parce que nous sommes partis de nos repères habituels et non de ceux de notre interlocuteur ? A cet ajustement incertain des deux personnes en présence, s'ajoute le recours systématique de chacun à ses mécanismes d'adaptation habituels qui peuvent être dénués de sens pour celui d'en face. Comment se rejoindre ? En écoutant … La proposition de la consultation d'annonce inscrite dans le Plan Cancer a l'intérêt de nous faire réfléchir sur nos pratiques mais elle peut aussi nous enfermer dans un nouveau mode de fonctionnement stéréotypé, sans intérêt. Avec toutes les recommandations, les meilleures formations, si nous ne réfléchissons pas d'abord à ce qui nous bouleverse lorsque nous annonçons à un autre une mauvaise nouvelle, si nous ne réfléchissons pas à ce que cela nous renvoie de notre propre finitude, de notre engagement de soignants, à la manière dont nous supportons cette anxiété majeure d'avoir à annoncer une mauvaise nouvelle, nous avons toutes les chances de passer à côté. Rencontrer la souffrance morale, physique , totale de l'autre est toujours éprouvante et il ne peut en être autrement. Parfois en parler avec nos collègues nous permet d'entendre - en écho des nôtres - leurs propres difficultés, leurs souffrances et l' idéal professionnel qui les anime. Là encore il s'agit de vérité, d'ouverture et de rencontre. L'annonce d'une mauvaise nouvelle – dans le sens d'une information qui entame la sécurité mentale de l'autre et bouscule radicalement son avenir - ne peut qu' être difficile pour les deux personnes en présence : la personne malade et le médecin. L'un comme l'autre chercheront à fuir l'insupportable tension. C'est ce lien structurant dont la personne malade a besoin, lien qui la restaure dans sa certitude de ne pas être abandonnée et de compter pour celui qui va l'aider à vivre jusqu'au bout. RICHARD M.S, Soigner la relation malade-famille-soignants , Paris, CREFAV,2002. Laurence Dureuil Psychologue clinicienne |